Tribune Investissement d’impact

Investissement d’impact et stratégies de rendement à long terme

Zoom sur l’industrie Montréal,
partager

Roland Lescure, premier vice-président et chef des Placements à la Caisse de dépôt et placement du Québec, répond aux questions de The Economist, sur le blogue Impact Investing. Cet article a été publié avant la tenue d’un panel d’experts, organisé par le magazine à New York, le 15 février 2017.

Cette entrevue a été publiée initialement sur la page The Economist Events’ Impact Investing speaker blog. Visitez www.economistimpactinvesting.com pour lire le billet original de Roland, ainsi que les articles des autres conférenciers.  

The Economist | Parlez-nous un peu de vous et du rôle que joue votre organisation dans le secteur de l’investissement d’impact?

Roland Lescure | Je suis chef des placements à la Caisse de dépôt et placement du Québec depuis 2009. Mes expériences sont un mélange de privé, de public, d’Amérique du Nord et d’Europe.

La Caisse a un modèle assez unique dans le monde de la gestion des caisses de retraite. Notre mandat ne consiste pas seulement à assurer des rendements financiers à nos déposants, mais aussi de contribuer au développement économique du Québec.

Cela se traduit par l’exemple d’investir dans de petites et moyennes entreprises (PME), en leur offrant un accompagnement stratégique et un accès à notre réseau d’affaires pour soutenir leur croissance à long terme. C’est aussi investir dans l’économie réelle, dans des projets d’infrastructures et d’immobilier.

Comme investisseur public, nous sommes tenus à la plus grande transparence dans nos placements et nos processus. Bien que de nombreux investisseurs institutionnels pourraient considérer notre transparence comme un obstacle opérationnel, nous considérons plutôt qu’il s’agit d’une occasion de démontrer notre capacité à générer des rendements financiers qui profitent à l’économie québécoise, tout en investissant de façon responsable. 

Nous nous voyons comme des bâtisseurs et non comme de simples investisseurs.

Nous n’avons pas attendu que l’investissement d’impact et l’investissement socialement responsable (ISR) soient à la mode – en 2004, nous avons été la première institution canadienne à adopter une politique d’ISR et nous avons été parmi les premiers signataires des Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies. De plus, nous participons activement au Carbon Disclosure Project et au Water Disclosure Project.

TE | Quelle est votre approche par rapport aux principes d’ISR?

RL | À la Caisse, nous investissons dans une perspective à long terme. Nous adoptons une pensée de propriétaires d’entreprises et nous nous voyons comme des bâtisseurs, et non comme de simples investisseurs. Nous sommes convaincus que nous pouvons concilier rentabilité et responsabilité sociale en adoptant une philosophie du « et » plutôt que du « ou ».

Notre approche pour l’adoption de principes d’ISR comporte deux volets. Premièrement, nous investissons dans des industries qui, traditionnellement, ont des impacts positifs. Par exemple, nous misons sur le secteur des infrastructures au Québec et à l’étranger, en investissant dans les projets d’énergie verte et de transport public. Ces investissements se traduisent par des avantages évidents pour l’économie et l’environnement.

Notre approche découle d’une conviction : le capital peut être remplacé beaucoup plus facilement que l’influence.

Deuxièmement, nous croyons que les changements positifs se produisent grâce aux interactions avec les équipes de direction et à l’influence que nous pouvons exercer. Notre approche découle d’une conviction : le capital peut être remplacé beaucoup plus facilement que l’influence. Ainsi, à quelques exceptions près, nous ne croyons pas à l’utilité d'exclure catégoriquement certains secteurs ou industries. Nous préférons bâtir notre portefeuille en prenant des positions plus substantielles dans les entreprises, ce qui nous permet d’interagir avec elles et de les influencer, parfois à travers un rôle de gouvernance formel. Ainsi, nous pouvons favoriser des changements positifs sur les plans environnemental, social et de gouvernance (ESG) des entreprises, dans le but de les inciter à adopter les meilleures pratiques. Nous sommes actifs, mais pas activistes.

TE | Est-ce qu’adopter l’investissement d’impact et l’ISR représente un obstacle pour une organisation comme la vôtre et les investisseurs institutionnels en général?

RL | Nous ne considérons pas l’importance croissante de l’investissement d’impact comme un obstacle à la réussite des investisseurs de long terme. En fait, c’est tout le contraire. Nous pensons que la responsabilité sociale va de pair avec les investissements à long terme, et qu’elle peut même être un moteur de création de valeur. Selon nous, ce que l’on considère comme des risques non financiers à court terme finiront par évoluer et devenir des risques financiers à long terme. Par exemple, il est possible que les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance d’une entreprise n’influencent pas le rendement pour les actionnaires d’un trimestre à l’autre. Il est toutefois prouvé qu’à long terme, les entreprises ayant de solides pratiques ESG font face à des dépenses en immobilisations réduites, ce qui est clairement avantageux pour une société et ses actionnaires. Par conséquent, le fait de tenir compte du niveau de responsabilité sociale d’une entreprise dans l’analyse de votre investissement constitue une saine pratique de gestion des risques. C’est pour cette raison que l’analyse des facteurs d’ISR est intégrée à nos procédures de vérification diligente. 

TE | Quels sont les défis qui attendent l’investissement d’impact?

RL | Le succès de l’investissement d’impact dépendra aussi des gouvernements et des politiques qu’ils mettent de l’avant. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur l’industrie privée pour soutenir l’investissement d’impact; l’utilisation adéquate de taxes et de subventions gouvernementales, comme la taxe sur le carbone, sont des bons outils pour inciter les acteurs économiques à se tourner vers les investissements d’impact plutôt que les investissements traditionnels.

De plus, l’investissement d’impact doit éviter de tomber dans le dogmatisme. Bien qu’il est facile de dire que vous souhaitez exclure l’ensemble d’une industrie de votre portefeuille d’investissements, nous ne pensons pas que ce soit nécessairement la bonne solution. Nous pensons qu’une approche plus constructive peut mener à de meilleurs changements. À cet égard, nous devons reconnaître que la transition vers une approche d’investissement plus responsable est un marathon, et non un sprint. L’investissement d’impact est une nouvelle science, et il y a beaucoup d’incertitude entourant la façon de mesurer les répercussions d’une finance qui va bien au-delà des profits.

Finalement, il sera essentiel de rallier les principaux acteurs de l’industrie. Il faudra du temps, de la recherche et des discussions ouvertes pour nous assurer que l’investissement d’impact atteint pleinement ses objectifs.

false
false
false
partager